Être Noir en Mauritanie

IRA France-Mauritanie a souhaité réagir à l’actualité internationale qui traite et diffuse largement tout ce que la Mauritanie à elle seule agrège depuis si longtemps, et dont personne ne parle la plupart du temps.

L’assassinat commis sur la personne de George Floyd il y a un mois aux Etats-Unis, fait ressurgir un nombre vaste de noms en « isme » : racisme, esclavagisme, autoritarisme, sectarisme, nationalisme, fanatisme… Les Etats-Unis (hors leur président bien entendu) tout en convoquant leurs citoyens à commémorer le 155 ème anniversaire (1865) de la libération des derniers esclaves au Texas, se penchent sur leur conscience : le racisme qui a tant et tant marqué son passé, en imprègne encore et de manière fulgurante, sa société aujourd’hui.
Le Parlement Européen, ce 19 juin 2020, vient d’adopter une résolution déclarant la traite des esclaves comme « crime contre l’humanité » (par 493 voix). Il convient de s’en réjouir. Mais il convient surtout de poser beaucoup de questions aux 104 députés européens qui ont voté « contre » ainsi qu’à leurs collègues qui s’y sont abstenus (67). Soit ¼ de députés votant contre et/ou s’abstenant. Alors qu’il y aurait fallu une flagrante unanimité. Tout cela en Europe.

Il n’est ni Nelson Mandela, ni Martin Luther King, mais ceux qui lui ont décerné le Prix ONU des Droits de l’Homme en 2013, l’ont comparé à ces deux personnalités dans leurs discours. Il s’appelle Biram Dah Abeid. Il est Mauritanien. Elu député de l’opposition en 2019 et par deux fois 2ème aux élections présidentielles (2014 et 2019). Il est noir. Arrière petit fils d’esclave. A l’âge de 25 ans il fait la promesse à son père qu’il consacrera sa vie à l’abolition de l’esclavage et à la lutte contre le racisme d’Etat en Mauritanie. Biram Dah Abeid a 54 ans aujourd’hui. Musulman, il incinère en place publique en Avril 2012 à Nouakchott, les pages précises évoquant l’esclavage (et le revendiquant), issus du code Malékite. Il crée en 2008 sa propre ONG : Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste – IRA Mauritanie. Objectifs : accompagner, assister les personnes victimes de l’esclavage et du racisme d’Etat. IRA Mauritanie s’inscrit dans la promotion et la défense de l’universalité des Droits Humains tels que définis par le Droit International.
Depuis 2008 à ce jour, Biram Dah Abeid (comme nombre de ses amis avec lui) aura passé plus de 4 ans dans les geôles immondes du pouvoir autoritaire encore en cours de Mauritanie. Autant d’arrestations arbitraires et de privations de ses droits que des ONG comme Amnesty International, l’ACAT, ont dénoncé et dénoncent encore aujourd’hui. Nous sommes à l’été 2020. L’esclavage dans son sens le plus ancestral, perdure encore en Mauritanie. Des centaines de milliers d’esclaves restent sous le joug d’une pratique d’un autre temps, au moment même où, aujourd’hui, tout n’est que reprises historiques et commémorations d’abolition dans le monde. Sans compter les remises en question et états d’âme sur la conservation des statues de Colbert, de Schoelcher…En somme déboulonner le passé. Personne n’évoque la Mauritanie. Jamais. Trop d’enjeux économiques et stratégiques. Sûrement. Pourtant, et à ce jour, les noirs qui représentent 75% de la population mauritanienne (Haratines, Soninkés, Peuls, Wolofs, Bambaras, Négro Mauritaniens) subissent au quotidien répressions, arrestations, emprisonnements, tortures, esclavage, quand cette communauté à part entière, manifeste au nom de Droits Humains élémentaires. Le Parlement Européen vient de voter, nous l’avons dit. Les autorités mauritaniennes, elles, en 2015, qualifiaient l’esclavage dans une Loi officielle, « crime contre l’humanité ». Les Maîtres esclavagistes devant être arrêtés. Ils ne le sont pourtant jamais. Biram Dah Abeid et ses amis en libérant les esclaves ne font qu’appliquer la Loi. Et sont mis en prison pour cela. Le pouvoir arabo-berbère mis en place par la France en 1961 confisque ainsi tout pouvoir à quelque échelle administrative, judiciaire, économique que ce soit, à « sa » population noire majoritaire. Nous évoquions le racisme d’Etat…
« Nous », IRA France-Mauritanie, ONG relais d’IRA Mauritanie, ne cessons d’alerter les pouvoirs publics français, la classe politique. Nos amis Mauritaniens de Paris et sa banlieue manifestent régulièrement sous les fenêtres de leur Ambassade. Ils et nous constatons que les pouvoirs autoritaires se succèdent au sommet de l’état et avec eux les félicitations systématiques de nos Présidents. L’appartenance de la Mauritanie au G5 sahel servant de « barrière » imparable à toutes nos encombrantes questions. Quant à la survivance de l’esclavage, les réponses sont systématiques : il ne s’agit, en Mauritanie, que de « séquelles d’esclavage ».
Biram Dah Abeid est rentré ce 18 juin dans son pays, après des mois passés en Europe dus au confinement. Il recevait en Europe son énième Prix tout en implorant inlassablement dans les tribunes de l’ONU, la communauté internationale à se pencher sur le respect des Droits Humains dans son Pays. A son arrivée le pouvoir n’a pas tardé : 10 sympathisants d’IRA Mauritanie venus l’accueillir ont été arrêtés, puis relâchés. Le maître mot d’IRA et de Monsieur Dah Abeid étant « pacifisme », dans les mots, dans les actes. Intimidation grossière. Nauséabonde. Semblable à ces répressions systématiques et violentes face à des militants invariablement pacifiques. Semblable à ces incarcérations systématiques quand des blogueuses ou blogueurs osent dénoncer le racisme d’Etat récurrent, l’esclavage. Elles et ils rappellent qu’en Mauritanie, aujourd’hui, on naît esclave par ascendance.
Devant tant d’impuissance à faire parler de la Mauritanie, de ce qui s’y « joue » au quotidien, et devant tout ce que ce pays rassemble en lui de la brûlante actualité d’aujourd’hui, nous ne pouvons, nous, nous taire et vous demandons avec urgence, solennellement, d’évoquer la Mauritanie.

Jean-Marc Pelenc
Président de l’ONG IRA France-Mauritanie

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