Résumé : La population mauritanienne est schématiquement divisée en trois grands groupes : les Beydanes (arabo-berbères), les Haratines (descendants d’esclaves, affranchis ou esclaves), et les Négro-mauritaniens (Soninkés, Wolofs, Halpoulars et Bambaras).
La communauté Beydane accapare la quasi-totalité des pouvoirs dans le pays : sur le plan politique, sur le plan économique, sur le plan judiciaire, dans l’administration. La prédominance des Beydanes a pour conséquence l’exclusion des Haratines et des Négro-mauritaniens.
Les adultes et les enfants esclaves sont la pleine propriété de leurs maîtres. Il s’agit également d’un esclavage par ascendance : à leur naissance les enfants d’esclaves sont déjà des esclaves. L’endoctrinement et l’absence d’accès à l’éducation ou à d’autres moyens de subsistance expliquent la soumission des esclaves à leur maitre.
La Mauritanie a aboli plusieurs fois l’esclavage et a ratifié un grand nombre de traités internationaux clés concernant l’esclavage moderne, mais pas la Convention sur le travail domestique. Plusieurs lois ont été promulguées pour abolir, criminaliser et qualifier de crimes contre l’humanité l’esclavage, sans toutefois être appliquées à chaque dénonciation d’esclavagistes. Seuls deux cas d’esclavage avéré ont vu une issue judiciaire.
De nombreux rapports d’Organisations Internationales des droits humains (Onu, United Freedom, Acat, Amnesty international etc,) relèvent régulièrement le manque de volonté politique de la part du gouvernement mauritanien pour lutter contre l’esclavage et la discrimination raciale.
La société mauritanienne, dont la population est estimée à environ 4 millions d’habitants, se caractérise par une forte séparation des communautés ethniques et une stricte hiérarchisation. L’appartenance tribale et le statut social de l’individu conditionnent son existence et son rapport aux autres. Profondément enraciné dans une structure sociale hiérarchisée, l’esclavage subsiste dans toutes les communautés. Cette hiérarchisation stricte de la société se perpétue par la force de la tradition et des coutumes, parfois en instrumentalisant la religion musulmane.
La population mauritanienne est schématiquement divisée en trois grands groupes : les Beydanes (arabo-berbères), les Haratines (descendants d’esclaves, affranchis ou esclaves), et les Négro-mauritaniens (soninkés, wolofs, halpoulars et bambaras).
La communauté Beydane accapare la quasi-totalité des pouvoirs dans le pays : sur le plan politique, sur le plan économique, sur le plan judiciaire, dans l’administration. Selon la majorité des analyses, la prédominance des Beydanes est aujourd’hui entretenue et encouragée par le pouvoir en place, qui se refuse à mettre en place un partage équitable des richesses et l’accès à une pleine citoyenneté pour tous.
La prédominance des Beydanes a pour corollaire l’exclusion des Haratines et des Négro-mauritaniens. Les discriminations ne sont pas inscrites dans la loi, mais elles sont subies au quotidien, et s.expriment dans différents domaines. Les Haratines et les Négro-mauritaniens souffrent des discriminations au plan économique (accès à l’emploi, crédit bancaire, expropriations et spoliations foncières, exploitation de ces travailleurs), sont en butte aux abus et à la violence des forces de sécurité, souffrent également de discriminations linguistiques depuis que l’arabe est la seule langue officielle. L’opération de recensement lancée par l’État depuis plusieurs années exclut un grand nombre de Haratines et de Négro-mauritaniens de la communauté nationale.
L’esclavage
L’esclavage en Mauritanie prend la forme d’un esclavage de « biens meubles », c’est-à-dire que les adultes et les enfants esclaves sont la pleine propriété de leurs maîtres qui exercent tous les pouvoirs sur eux et leurs descendants. Le statut d’esclave s’est communiqué à travers les générations sur des populations initialement capturées lors de raids par les groupes propriétaires d’esclaves. Les personnes en situation d’esclavage peuvent être achetées ou vendues, louées ou données en cadeaux. C’est donc également un esclavage par ascendance. L’esclavage est présent à la fois en zone rurale et urbaine. Il est avéré que les femmes sont affectées par l’esclavage dans une proportion beaucoup plus importante que les hommes : elles travaillent par exemple dans la sphère domestique et un haut niveau de contrôle est exercé sur leurs mouvements et leurs interactions sociales. Elles sont l’objet de violences sexuelles de la part de leurs maîtres. Les rôles des femmes comprennent le soin aux enfants, les tâches ménagères, mais elles peuvent aussi garder les troupeaux et avoir des activités agricoles comme les hommes esclaves. Il est aussi prouvé que des femmes Mauritaniennes ont été victimes de mariages forcés et d’exploitation sexuelle, aussi bien en Mauritanie qu’au Moyen-Orient.
Les esclaves ne sont pas autorisés à avoir des possessions, puisqu’ils sont considérés eux-mêmes comme des possessions. Et en tant que tels, on leur refuse le droit d’hériter et le droit de posséder la terre ou d’autres ressources. Quand un esclave se marie, la dot est confisquée par le maître, et à sa mort, ses biens peuvent être réclamés par le maître.
L’endoctrinement pour s’assurer que les personnes maintenues en esclavage acceptent leur situation est un aspect clé de l’esclavage en Mauritanie avec l’utilisation d’arguments liés à la race, à la classe sociale ainsi qu’à des enseignements religieux. Sans accès à l’éducation ou à d’autres moyens de subsistance, beaucoup croient que leur situation est la volonté de Dieu. Comme la plupart des personnes en situation d’esclavage n’ont accès ni à la lecture ni à l’éducation, elles ne savent pas que, selon la loi islamique, un musulman ne peut asservir un coreligionnaire. C’est la raison pour laquelle, de façon symbolique, Biram Dah Abeid a organisé publiquement en 2013 l’incinération d’ouvrages médiévaux du rite malékite qui codifient l’esclavage et sont improprement présentés comme des textes sacrés. De plus, le cadre légal et policier pour protéger les droits des femmes en Mauritanie est extrêmement déficient avec de nombreuses lois discriminatoires.
La Mauritanie a aboli plusieurs fois l’esclavage et a ratifié un grand nombre de traités internationaux clés concernant l’esclavage moderne, mais pas la Convention sur le travail domestique. Le Comité d’experts de l’Organisation Internationale du Travail et différents organismes dépendant de l’ONU ont exprimé de façon répétée des préoccupations concernant la situation en Mauritanie et a appelé le Gouvernement à s’engager progressivement en particulier : à adopter une stratégie d’ensemble contre l’esclavage, à garantir que les victimes puissent effectivement faire valoir leurs droits et trouver de l’aide, à garantir que les autorités lancent des enquêtes rapidement et à garantir que les peines de prison soient effectivement appliquées aux responsables de ce crime.
L’esclavage a été aboli par la loi mauritanienne depuis 1961, quand le gouvernement rédigea une nouvelle constitution, une fois l’indépendance obtenue de la France, en intégrant plusieurs principes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. En 1981, après un coup d’Etat, la Mauritanie déclara à nouveau l’esclavage illégal par le Décret 81234. Cependant, aucun texte ne fut promulgué pour l’application de ce décret. Ce n’est qu’en 2003 que fut promulguée une loi contre le trafic des êtres humains et quatre ans plus tard, la loi 2007-48 fournit une nouvelle définition de l’esclavage et le punit d’une peine de cinq à dix ans d’emprisonnement assortie d’une amende. Ces deux lois criminalisent le trafic d’êtres humains et la quasi-totalité des différentes formes d’asservissement. La loi 2007-48 prévoit compensation et assistance pour les victimes libérées de l’esclavage et punit ceux qui ne donneraient pas suite à une dénonciation d’esclavage. Ceci inclut les officiers de police et responsables qui peuvent être complices de ce crime. Les lois mauritaniennes concernant l’esclavage sont cependant incomplètes car certaines pratiques, telles que le mariage forcé et l’esclavage pour dette, ne sont pas criminalisées. La Mauritanie a complété sa législation en définissant l’esclavage comme un crime contre l’humanité en 2015 et en créant trois tribunaux spéciaux habilités à traiter ces crimes.
Malgré l’existence de ces lois, il est avéré qu’il est très difficile pour les victimes d’esclavage d’accéder à la justice en Mauritanie. La charge de la preuve repose sur la victime et les investigations ne peuvent être engagées que si la victime porte plainte. Les organisations de défense des droits humains ne peuvent par exemple pas compléter un dossier en faveur d’une victime. Ceci constitue un grave problème alors que la plus grande partie des victimes sont analphabètes, ce qui rend impossible l’accès à l’écrit. Les victimes d’esclavage ne connaissent souvent pas leurs droits et la garantie de protection de la loi. Le Gouvernement ne fournit aucun appui aux programmes de soutien aux victimes dans la rédaction de leur dossier. Alors que beaucoup de victimes ont été endoctrinées par une pratique pluri-générationnelle de l’esclavage, il leur est très difficile d’engager des poursuites judiciaires contre leurs « maîtres » devant un tribunal. Ces difficultés parmi d’autres expliquent le faible niveau d’investigation et de poursuites dans le cadre de ces lois, même si des ONG, dont IRA-Mauritanie, soutiennent ces victimes dans leurs démarches.
Au-delà de l’existence de lois apparemment promulguées pour abuser la communauté internationale, il est notoire que le gouvernement mauritanien n’a aucune volonté politique de lutter contre l’esclavage, les libérations anticipées des rares esclavagistes condamnés ainsi que le harcèlement et les nombreuses condamnations injustes dont sont victimes les militants abolitionnistes pacifiques en sont une preuve patente. Par ailleurs « l’Agence Nationale pour combattre les Vestiges de l’Esclavage, l’Intégration et lutter contre la Pauvreté », installée en mars 2013, a centré son action sur des mesures fort critiquables de lutte contre la pauvreté et ne s’intéresse absolument pas au contexte social qui permet et entretient l’esclavage, pas plus qu’elle ne promeut le moindre projet visant la libération et l’insertion de personnes en situation d’esclavage. En particulier, le gouvernement refuse toujours de communiquer la moindre statistique sur la question de l’esclavage et organise l’impunité des esclavagistes. Philip Alston, Rapporteur Spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, a dressé dans son rapport de mission de 2017 un réquisitoire particulièrement sévère sur ce manque de volonté politique de lutter contre l’esclavage. La Fondation australienne United Freedom publie chaque année depuis 2013 son Index Global de l’Esclavage : elle place chaque année, à partir d’estimations, la Mauritanie dans le peloton de tête des pays pour la proportion de sa population en situation d’esclavage.
Cette présentation a été rédigée à partir de différents documents : en particulier, des communiqués de presse d’IRA-Mauritanie, le Rapport 2015 de mission de l’OFPRA en Mauritanie et les derniers rapports annuels de Freedom United.